Le Maroc en attente de sa voix : quand la culture devient un acte de souveraineté
Par Zakia Laroussi
Il est des silences qui pèsent plus lourd que les mots. Le silence qui entoure la culture marocaine à Paris en fait partie. Alors que les accords économiques se signent, que les forums diplomatiques se succèdent, que les discours sur la coopération s’empilent dans les archives, une autre réalité demeure, plus subtile, plus douloureuse : celle d’un pays dont la voix culturelle ne trouve pas d’écho au cœur de la capitale du monde des arts. Comment admettre qu’un Maroc qui a façonné des siècles de pensée, de poésie, de science et de spiritualité n’ait pas encore, à Paris, un lieu digne de cette mémoire, un espace vivant, libre, où son imaginaire puisse respirer à la mesure de son histoire ? La question n’est pas administrative, elle est existentielle. Un centre culturel marocain à Paris ne serait pas une institution de plus dans le réseau feutré des chancelleries, mais un acte de souveraineté, un geste de foi envers la culture comme lien entre les peuples et miroir de la nation.
Le Maroc a donné au monde des voyageurs et des philosophes, des conteurs et des bâtisseurs d’univers. Ibn Battouta, Ibn Rochd, Léon l’Africain, les maîtres anonymes des médersas de Fès ou des zaouïas du Sud, tous ont fait du savoir un art de vivre et du dialogue une manière d’exister. Leur héritage ne demande pas un musée, mais un souffle. Or, à Paris, ce souffle manque. Il ne s’agit pas de réclamer une vitrine folklorique, mais d’ouvrir un espace de pensée, un lieu de parole et de création où le Maroc puisse se dire dans sa pluralité et sa modernité. Car ce pays n’est pas seulement un territoire, il est une voix — multiple, métissée, traversée par la mémoire de l’Afrique, du Maghreb, de l’Europe et de l’Orient.
Ce manque, aujourd’hui, est ressenti comme une blessure. La Maison du Maroc existe, certes, mais son souffle s’est éteint sous le poids des procédures, des lenteurs et d’une vision étroite de ce que la culture devrait être. La culture n’a pas besoin d’autorisations : elle a besoin d’horizon. Elle n’a pas besoin de gestionnaires : elle a besoin de passeurs. Ce qui manque à Paris, ce n’est pas une façade aux couleurs du royaume, mais un cœur battant, un lieu où les artistes marocains de France et d’ailleurs puissent se rencontrer, exposer, débattre, inventer ensemble les formes nouvelles du dialogue entre les rives.
Dans un monde saturé de stratégies économiques et de diplomaties intéressées, la culture demeure le dernier territoire de sincérité. Elle est l’ambassade invisible d’un pays, son visage le plus durable, celui qui survit aux conjonctures et aux gouvernements. On peut signer mille accords, mais un seul poème, une seule exposition, un seul film peut faire plus pour l’image d’un pays que tous les traités réunis. L’absence d’un centre culturel marocain à Paris n’est donc pas un simple retard, c’est un vide symbolique… un vide qui interroge le rapport du Maroc à lui-même, à sa jeunesse, à son génie intérieur.
Créer un tel centre, ce serait redonner souffle et cohérence à une présence culturelle éclatée. Ce serait reconnaître la puissance d’un héritage qui ne demande pas à être célébré, mais à être vécu. Ce serait, enfin, offrir au monde l’image d’un Maroc confiant dans sa parole et dans son humanisme. Car la culture, loin d’être un luxe, est une nécessité politique. Elle est la forme la plus subtile de la diplomatie, la plus vraie peut-être, parce qu’elle parle au cœur avant de parler aux intérêts.
Le Maroc ne doit plus se contenter de participer aux dialogues, il doit les inspirer. Il ne doit plus attendre qu’on lui donne la parole, il doit la reprendre. Paris n’a pas besoin d’un énième monument administratif, mais d’un lieu de lumière, de respiration et de présence. Ce centre culturel ne serait pas un symbole de prestige, mais une déclaration d’existence : celle d’un pays qui refuse le mutisme, et qui choisit, enfin, de parler au monde par la seule langue qui ne vieillit jamais ، celle de la culture.